La gestion de la tontine tabaski n’est pas une mince affaire. C’est une charge psychologique permanente pour la caissière ou le caissier. Les souscripteurs font des prêts qu’ils ne remboursent jamais à date, exposant, de facto, la gestionnaire à la hantise de la honte et de l’humiliation. Afin de ne pas être la risée du quartier ou des autres adhérents, le ou la caissière contracte des prêts pour combler le trou avant la répartition de la somme collectée. Dans d’autres cas de figure, les épargnants tombent des nues lorsque le conservateur leur verse une somme en deçà de leurs attentes. Cela suscite toutes les suspicions. Actuellement, au garage du marché central de Mbour, un gestionnaire est sous menace d’une plainte. Les adhérents qui comptaient sur leur épargne durant des mois pour passer une bonne fête de Tabaski sont restés bouche bée…
Tout le monde s’y met. Le taux d’intérêt élevé et les conditions contraignantes des prêts des institutions financières et de la microfinance ont donné des ailes à la tontine. Jusqu’ici, ce sont les femmes qui se distinguaient dans cette épargne. Aujourd’hui, dans les lieux de travail formel et informel, la tontine s’impose comme une règle d’épargne taillée sur mesure.
Elle est la solution à l’équation des dépenses de grandes fêtes comme la Tabaski. Certains ont mis en place un mécanisme strict de collecte et de thésaurisation.
« Je suis membre de la tontine de la banque où je travaille. C’est un moyen allégé d’épargner. Nous n’avons aucun problème parce que dès réception de l’argent, nous le versons dans le compte ouvert spécialement pour l’épargne », explique Mariama, caissière dans une banque.
La clé de succès d’une tontine s’appelle de la rigueur. Sans quoi, on n’est pas loin des déboires. La fin de l’histoire des gestionnaires n’est pas toujours heureuse.
A côté des cas de réussite, il y a eu beaucoup d’échecs et de détournements. Car, même si certaines tontines aboutissent sans heurt, jusqu’au jour du partage, il y a un revers que des conservateurs de la cagnotte ne racontent jamais. En effet, bon nombre d’entre eux sont sur le qui-vive à l’approche du partage de l’épargne. Des taux d’intérêt sont appliqués pour les prêts de fête. Sur chaque 5000 Francs Cfa, les créanciers ajoutent 500 Francs Cfa lors du remboursement.
Si les règles sont bien définies et respectées par les membres de la tontine, ce n’est pas le cas, pour celle ou celui qui détient les clés de la caisse.
De beaux diables pour combler le trou
Cette gestion a son envers et revers. A la pratique, la gestionnaire ou le gestionnaire oublie souvent que l’argent ne lui appartient pas. Il ou elle use et parfois abuse jusqu’au jour où il ou elle se rend compte qu’il y a un grand trou. C’est pour cela que certaines se démènent comme de beaux diables pour combler l’écart.
Lorsque les voisins découvrent que vous êtes une caissière d’une tontine, ils vous exposent leurs problèmes, ils font des prêts et s’engagent à rembourser avant l’échéance du partage. Mais peu d’entre eux respectent leurs engagements.
Hantise de la honte
« Des voisines sont venues m’emprunter la somme de 350 000 Francs CFA. Elles m’ont expliqué qu’elles devaient rembourser un manquant de la somme collectée avant de procéder à la répartition. Elles m’ont promis de me verser l’argent en deux tranches juste après la fête », raconte une jeune fille. L’histoire semble se répéter pour elle car l’année dernière, à la même période, une autre femme est venue lui emprunter une somme de 200.000 francs CFA avec comme garantie de lui rembourser après reçu l’argent de leur tontine.
La caissière ou le caissier sont soumis(e) à une pression des voisins et d’autres membres de la tontine. Ceux qui empruntent faussent le jeu et décalent les échanges de partage.
« Le partage de notre caisse a été déprogrammé deux fois. Le doute commençait d’ailleurs à germer dans nos têtes. Moi-même, j’avais emprunté de l’argent. N’eut été la compréhension de mon patron qui m’a prêté de l’argent pour que je rembourse, j’allais subir l’affront », explique Safiétou Seydi.
Des échéances non respectées
« Moi, sincèrement je ne suis pas membre de l’épargne Tabaski. C’est une amie qui en est membre, je lui avais demandé de faire un prêt pour moi en son nom. Elle m’avait versé l’argent que j’avais du mal à rembourser. Je suis allée voir une personne pour qu’elle me prête de l’argent afin que je puisse payer le prêt. Maintenant que la fête approche, j’ai encore emprunté à une amie pour rembourser », se confie l’épouse de l’émigré. La gestion de la caisse est une souffrance pour les responsables. La preuve, certains sont obligés dans des institutions de la microfinance pour rembourser les prêts. Une femme âgée d’une soixantaine d’année se livrer à une vraie gymnastique pour combler le trou.
« Je gérais une tontine Tabaski. Je faisais beaucoup de gymnastique avec de l’argent. Quand approchait la date butoir, je faisais le tour des mutuelles pour emprunter de l’argent pour casser la caisse. Mes enfants m’ont finalement interdit de gérer l’épargne Tabaski. Ma fille est allée jusqu’à dire aux participants(es) que je mangeais leur argent et que le jour où j’aurais des problèmes à payer, c’est eux qui allaient perdre. Pis, mes enfants sont allés jusqu’à chasser de la maison ceux qui venaient pour déposer leur argent », a révélé la dame.
Détournement de fonds au marché central
Dans cette famille, tout comme au marché central de Mbour, la tension est à son comble. A quelques jours de la Tabaski, des membres d’une tontine des chauffeurs taxis sont au bout des nerfs. Leurs fonds ne sont pas utilisés à bon escient. L’affaire risque d’atterrir à la police. Car, un membre de la tontine a reçu des menaces et des insultes de la part de celui qui gardait la caisse.
Après des mois de cotisation, chaque souscripteur a reçu 30.000 Francs CFA. Une somme que les membres de la tontine jugent très dérisoire. A l’heure du partage, aucune réunion n’a été tenue, aucun bilan n’a été présenté. Chaque membre estime qu’il devrait percevoir une somme plus importante au regard de ses versements.
« Chaque jour, nous lui versions plus de 100.000 Francs CFA. Moi je prenais la peine de faire noter mes versements. Comme, je ne sais ni lire, ni écrire, ma femme se chargeait de noter la somme dans un cahier. Il se trouve que le jeune, à qui nous avons confié notre argent, nous a remis chacun 30 000 francs. Quand je l’ai interpellé, il m’a insulté et m’a traité de tous les noms. L’année dernière aussi, il nous avait fait pareil », explique le vieux chauffeur. Ce dernier ne se fera pas rouler dans la farine, en restant les bras croisés. Il menace de porter plainte. La gestion de la Tontine de Tabaski est un vrai casse-tête.