Malgré la forte « pression » de l’opposition et de la société civile, depuis sa réélection à la tête du pays en 2019 pour un quinquennat, Macky Sall a su maintenir le suspense autour de la lancinante question sur sa troisième candidature. Mais, ce sujet n’est plus tabou au sein de la majorité où l’on appelle publiquement à tenter le coup.
Dans un entretien avec Jeune Afrique paru, le 30 mai dernier, le chef de l’Etat, Macky Sall, avait donné rendez-vous aux Sénégalais après les Législatives du 31 juillet 2022 pour se déterminer sur une troisième candidature en 2024. « Ce débat sur le troisième mandat, je le traiterai en temps voulu et les Sénégalais seront édifiés. Ce qui est sûr, c’est que je ne poserai jamais un acte qui soit antidémocratique ou anticonstitutionnel (…) Si je dis oui, je veux être candidat, le débat va enfler et on ne va plus travailler ; donc il y aura de la matière pour les spécialistes de la manipulation et de l’agitation. Si je dis non, dans mon propre camp les gens ne travailleront plus non plus ; tout le monde sera dans une dynamique de se préparer pour l’élection. Or moi, j’ai un mandat à exercer », s’est-il notamment justifié.
Pourtant, le scrutin est déjà derrière nous et le Conseil constitutionnel a publié, ce jeudi soir, les résultats officiels définitifs, confirmant ainsi les résultats provisoires de la Commission nationale de recensement des votes (Cnrv).
Les victimes du 3e mandat
Mais, des faits et gestes du président Sall, il ressort des signes qui démontrent qu’il n’est pas contre une troisième candidature. D’abord, lorsque ce débat est soulevé dans la foulée de sa réélection en février 2019, c’est lui-même qui avait sifflé la fin de la récréation. « Ne me parlez pas de troisième mandat. Parlons du quinquennat et des réformes à engager », disait-il, en marge d’une rencontre avec les parlementaires de sa coalition.
Puis, sa main n’a pas tremblé pour couper des têtes. Sa première victime : Sory Kaba. « Par décret n°2019-1763 du 21 octobre 2019, Monsieur le Président de la République a nommé Monsieur Amadou François Gaye, expert financier, titulaire d’un Mba de l’université des Sciences de Philadelphie, Directeur général des Sénégalais de l’Extérieur, au Ministère des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, en remplacement de Monsieur Sory Fantamady Kaba », note un communiqué du ministre porte-parole du gouvernement, Ndèye Tické Ndiaye, le lundi 21 octobre.
Une semaine après, exactement le 29 octobre 2019, Moustapha Diakhaté qui a remixé, la veille (28 octobre), le Cd de Sory Kaba, sera lui-aussi démis de ses fonctions de chef de cabinet du président de la République. « La manière dont Macky Sall veut mettre un terme à cette polémique est contreproductive. S’il veut limoger toute personne qui en parle (…) Cela m’est égal d’être limogé ou maintenu à mon poste. J’ai rejoint Macky avant même qu’il ait un pouvoir de nomination. Si aujourd’hui il souhaitait me démettre de mes fonctions, je le remercierais », réagissait-il sur Sen Jotaay au limogeage de Sory Kaba.
En septembre de la même année, Me Moussa Diop est aussi limogé suite à sa sortie sur l’éventuel troisième mandat pour Macky Sall. L’avocat avait déclaré sur la Sen Tv, la semaine d’avant, qu’il n’y a pas matière à interprétation, un troisième mandat est impossible en vertu de la constitution. Une déclaration qui lui coûtera son poste.
Pourtant, bien avant, Ismaïla Madior Fall avait, dans un entretien accordé à Enquête en mars 2019, déclaré ceci : « Je pense que la constitution est assez claire. En principe, c’est le deuxième et dernier mandat du chef de l’État ». D’aucuns voyaient d’ailleurs derrière son « en principe », un nuage qui cache les intentions inavouées de Macky Sall. Une vive polémique s’ensuivit.
Mansour Faye et Thérèse Faye Diouf se dévoilent
Un deux poids deux mesures qui pourrait également confirmer qu’en réalité, le débat en tant que tel ne dérangeait point le locataire de…Roum, mais plutôt l’impossibilité d’une troisième candidature. Pour preuve, tous ceux qui ont abordé ce sujet n’ont pas été sanctionnés, en tout cas pas de la même manière. Sitor Ndour par exemple avait précisé que « légalement, le troisième mandat est possible. La Constitution dit à peu près ceci : le mandat présidentiel est de 5 ans. Nul ne peut exercer au-delà de 2 mandats consécutifs. Cette loi a été prise au moment où le premier mandat de Macky Sall était en cours. Tout le monde sait qu’en droit, la loi ne vaut que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif ». Et il n’a jamais été inquiété. Diop Sy et Abdou Ndéné Sall vont plus loin. Selon ces deux responsables politiques de Tivaouane, Macky Sall « peut briguer jusqu’à 10 mandats si, ça lui tente, parce qu’il est le meilleur président de la République jusqu’à 2035 pour exécuter le Plan Sénégal émergent ».
Au fur et à mesure que l’on s’acheminait du dernier scrutin législatif, ses plus proches remuent le couteau dans la plaie, levant un coin du voile autour de cette question. En effet, profitant d’un meeting politique, quelques jours avant la campagne électorale en vue des législatives 2022, Thérèse Faye Diouf a relancé les hostilités dans ce contexte politique tendu. « Je l’ai dit et je le répète, ce que les autres n’osent pas dire tout haut, je ne vais pas me garder de le clamer haut et fort : nous voulons donner un troisième mandat au président Macky Sall. C’est nous qui avions élu le Président Macky Sall. Autant certaines personnes peuvent demander à ce qu’il ne brigue pas un troisième mandat, autant nous pouvons légitimement demander qu’il brigue un troisième mandat. Il y va de l’intérêt national », lançait-elle, et de préciser : « J’ose le dire puisque tout a démarré à Fatick », a-t-elle ajouté. Non sans préciser que cela n’engage qu’elle. « Ce sont mes propos et cela m’engage, je le dis devant toute la presse ».
Et plus récemment, le ministre-maire de Saint-Louis, Mansour Faye, beau-frère du président Sall, se montre plus précis. « Les gens parlent, mais ne comprennent rien. Le Président est à son premier mandat de 5 ans », a notamment insisté le frère de la Première Dame.
En tout état de cause, « mon travail de Président est loin d’être fini », avait déclaré le chef de l’Etat, Macky Sall, dans ce même entretien avec Jeune Afrique, fin mai dernier. Que dira-t-il aux Sénégalais ? Les prochains jours nous édifieront.