La crise dans laquelle l’industrie pharmaceutique sénégalaise s’est engluée n’est pas si inquiétante, à en croire le Directeur de la Pharmacie et du médicament. Pour le Professeur Yerim Mbagnick Diop, l’envol d’une telle industrie s’opère avec beaucoup de patience et, malgré le tableau qui paraît sombre, il y a, à ses yeux, motif d’espoir.
Quel est le rôle de la direction de la pharmacie et du médicament ?
La Direction de la Pharmacie et du médicament (DPM) est l’autorité en charge de la réglementation pharmaceutique. Elle est chargée de mettre en œuvre la politique pharmaceutique. Et, dans cette politique, il y a l’accessibilité et la disponibilité des médicaments de qualité et autres produits de santé pour les sénégalais. C’est cela notre rôle premier. Nous mettons en œuvre neuf fonctions réglementaires. Parmi lesquelles il y a la fonction homologation qui permet d’enregistrer un médicament pour autoriser sa mise sur le marché au Sénégal. Et, dans cette fonction homologation, on trouve, en dehors de l’enregistrement, la variation, les renouvellements, l’inspection. La loi pharmaceutique est une loi chapeau à laquelle est adossée des règlements. Dans tous les secteurs de la chaine pharmaceutique, il y a des bonnes pratiques sous forme de règlements et, l’inspection est chargée de vérifier l’application de ces bonnes pratiques. On doit toujours vérifier si les médicaments sont dans de bonnes conditions. La réglementation pharmaceutique est une des réglementations les plus harmonisées au niveau mondial. Nous, DPM, on n’a pas le droit d’avoir des standards en deca des standards internationaux. .
Quelles sont les entreprises qui sont autorisées à importer les médicaments ?
Nous autorisons les industriels, les distributeurs répartiteurs, les officines. L’autorisation est donnée par arrêté du ministre. Nous faisons l’instruction de tous les documents pour les établissements de fabrication et de distribution. Maintenant, quel est processus d’agrément de ces industries ? Il y a des textes qui le règlent. Mais ce qui est constant dans l’ensemble de ces textes, c’est toujours cette notion de pharmacien responsable. Ce pharmacien responsable doit être inscrit à l’ordre des pharmaciens. Il doit avoir une certaine déontologie. Il ne peut pas se permettre de tout faire. Il doit veiller à ce que les bonnes pratiques de son industrie pharmaceutique soient respectées. Ensuite, toute autorisation est soumise et assujettie à l’appréciation de l’ordre des pharmaciens qui donne son avis avant qu’un arrêté ne soit pris par le ministre pour donner l’agréement. Entre l’obtention de l’autorisation et la mise en place, il peut y avoir deux ans.
Est-ce que la DPM contrôle la qualité des médicaments que les entreprises achètent une fois sur les lieux ?
Dans le processus d’importation, il y a cet aspect contrôle/ qualité. C’est-à-dire les gens qui importent sont responsables de la qualité des produits qu’ils importent. Et souvent, ils ont un système de validation. Nous, on ne contrôle pas systématiquement. On fait la cartographie des risques liés à cette chaine d’approvisionnement et, c’est sur cette base qu’on oriente les contrôles/qualité en y associant l’inspection. Si on constate des défauts de qualité, on peut, avec la fréquence, diligenter un contrôle qualité. On veut tendre vers la systématisation du contrôle/qualité. Comme ça, tout produit qui entre au Sénégal avant qu’on le mette à la consommation, soit contrôlé. Ça permet de minimiser les risques de non qualité liés aux produits de santé.
Est-ce qu’il y a des entreprises exclusivement dédiées à l’importation des médicaments et à l’importation du matériel médical ?
L’importation du médicament est actée, réglementée. Au Sénégal, on a 5 grossistes privées et la Pharmacie nationale d’approvisionnement qui ont leur agrément. Elles sont autorisées à faire de la distribution et de l’importation du médicament. Pour ce qui de l’importation du matériel médical, deux sociétés peuvent la faire. Elles sont autorisées à importer des dispositifs médicaux parce qu’il y a un petit gap par rapport à la règlementation que l’UEMOA est en train de combler qui va, à partir de maintenant, les obliger au processus de validation d’enregistrement au niveau de la DPM. On ne fait que des autorisations d’importations qui ne sont mêmes pas obligatoires aux yeux de la douane. Les autorisations d’importation de dispositif médicaux, c’est nous qui l’avons instituée en préparation de la réglementation. Il y a des sociétés de distribution de dispositifs médicaux qui ne passent même pas par la DPM pour importer leurs produits parce que ce n’est pas une obligation.
Est-ce que cela ne favorise pas le trafic des faux médicaments ?
C’est un défaut des textes réglementaires qui est en train d’être corrigé. Cela multiplie les circuits d’approvisionnement. Cependant, rien n’oblige à ces entreprises, sur le plan réglementaire, à faire leur déclaration d’importation à la DPM. Elles sont obligées de déclarer les produits qu’elles importent au niveau du cordon douanier. Maintenant, la faiblesse c’est que la qualité de ces produits n’est pas maitrisée. Il faut un système de contrôle pour voir si les produits respectent les spécifications professionnelles, techniques qui sont dans les dossiers de fabrication.
Une quantité importante de médicaments a été saisie dans un immeuble à la patte d’oie Builders. Certains soutiennent que ce sont de faux médicaments d’autres disent que ce sont des médicaments non autorisés à la vente. Qu’en est-il réellement ?
Si on se réfère à une définition de l’Organisation mondiale pour la santé, un médicament qui n’a pas l’autorisation de l’autorité, qui est la DPM et qui entre au Sénégal est un faux. Il ne faut pas aller chercher loin. Un médicament, avant d’entrer au Sénégal, doit avoir cette autorisation de mise sur le marché à la suite d’une évaluation technico-réglementaires. Même avant que le médicament n’entre au Sénégal, le fabricant doit demander l’autorisation d’apporter ses échantillons qui seront au nombre de 50. Ils vont passer à la commission. Ils seront évalués par des experts sur le plan réglementaire et technique avant de donner un avis favorable. Donc, si un médicament ne passe pas par ce processus, il est un faux médicament. Et dans l’histoire dont vous faites allusion, je n’ai pas vu de demande ou d’échantillons pour disposer une autorisation d’importer. La DPM n’a pas autorisé l’importation des produits qui ont été saisis.
Les avocats de la défense ont, cependant, soutenu le contraire. Ils disent que l’entreprise chinoise a été incriminée par ses concurrents pour l’écarter du marché ?
Il faut dégager cette hypothèse qui ne tient pas la route. Nous avons initié une inspection règlementaire avec ordre de mission des inspecteurs qui étaient au nombre de 3. On ne savait pas sur qui tomber. Cette hypothèse il faut la dégager. La société était identifiée pour faire des dispositifs médicaux, maintenant si dans ses marchandises, il y a des médicaments qui ne sont pas autorisés, cela c’est autre chose. Elle n’était pas autorisée à faire de la distribution de médicaments. Notre responsabilité, c’est de protéger les Sénégalais, et on va le faire avec nos moyens quoi qu’ils soient dérisoires.
Des pharmaciens ont été impliqués dans ce trafic de faux médicaments. Est-ce qu’en dehors des sanctions pénales qu’ils encourent, ils pourraient être radiés de la profession s’ils sont jugés et déclarés coupables ?
Il y aurait peu de pharmaciens qui sont dans cette activité de trafic de faux médicaments. Parce que la majorité des pharmaciens sait qu’en travaillant correctement, on gagne de l’argent. Maintenant, certains peuvent être tentés par cette activité illicite mais j’ose espérer que c’est un nombre très faible. C’est dommage que des pharmaciens soient impliqués. La Pharmacie est une profession honorable. Quand on sort, on fait un serment de Galien. Le pharmacien s’engage à faire son travail convenablement. Il ne doit pas utiliser sa connaissance pour corrompre les mœurs et faire des actes criminels. Le pharmacien est un homme bon. Pour moi, c’est une erreur et il va se reprendre. Maintenant, la sanction disciplinaire va tomber. Ça c’est sûr. Parmi les sanctions qu’on peut lui infliger il y a la suspension, la radiation, le blâme. Ce sont les chambres disciplinaires qui vont se prononcer.
Maintenant comment faire pour lutter contre le trafic des faux médicaments ?
J’appelle à un changement de paradigmes. On a des verrous et des cadres pour contrôler le bon médicament. On a un laboratoire qui peut vérifier la qualité du produit qu’on a autorisé. Donc, protégeons le bon médicament et le circuit du bon médicament et engageons les populations à aller vers le bon. On a beau mettre des moyens pour protéger le bon, si la population dit que « je vais acheter mon médicament à Keur Serigne Bi », on n’y peut rien. Si on arrive à faire de la couverture universelle, si on l’exige à chaque sénégalais, on pourra lutter contre les faux médicaments. Parce que les sénégalais vont acheter le médicament au bon endroit. Ce n’est pas la répression seulement qui peut aider à lutter. Donc, on engage le citoyen à avoir le bon comportement par rapport à ce marché illicite. S’il y a un marché c’est parce qu’il y a des clients. Il faut rediriger les clients vers les bons produits, les bonnes structures. Également, il faut durcir les sanctions pénales.
Est-ce que n’est pas le fait que l’industrie pharmaceutique sénégalaise ne décolle que les faux médicaments inondent le marché ?
Le Sénégal, parmi les pays africains, est l’un des premiers à avoir une industrie pharmaceutique. Mais, malheureusement, ces industries ont disparu, certainement, pour des raisons de rentabilité économique. Et depuis quelques temps, il y a une volonté politique manifeste de faire redémarrer cette industrie. En tout cas dans le discours. On est dans la phase de décollage, peut-être l’envol est un difficile. Il y a, au moins, deux projets qui sont assez avancés. Entre temps, il y a un projet qui a abouti : c’est Parenturus qui est dans les injectables. Donc, ça décolle. Médis est en train de repartir. Teranga-Pharma va sortir ses premiers lots de médicaments incessamment. Il y a deux ou trois projets qui sont en cours. Maintenant, l’envol d’une industrie pharmaceutique n’est pas exponentiel, c’est une courbe qui monte doucement. Ça peut prendre dix ans pour vraiment avoir une vitesse de croisière parce que la réalité de la production, c’est beaucoup de facteurs qui interviennent. Ce n’est pas une baguette magique. Il y a un problème de marché qu’il faut gérer. .
Donc, ce n’est pas demain la fin de l’importation pas des médicaments par le Sénégal ?
Même ceux qui produisent importent. Importer du médicament n’est pas si mal. Ce, si le but visé est l’accessibilité et de la disponibilité des médicaments pour les sénégalais. On ne peut pas prétendre tout produire. Nous avons mis en place un plan de relance de l’industrie pharmaceutique locale et les objectifs en termes de production, en termes de souveraineté pharmaceutique, c’est d’atteindre 30 à 50% en 2035. Donc, cela veut dire que, même en 2035, quand on aura bâti un socle pour l’industrie pharmaceutique, on va faire de l’importation. Peut-être, on va moins importer pour que l’argent rester ici au Sénégal. Donc, l’industrie pharmaceutique n’est pas trop simple mais, j’ai espoir que lorsqu’on produira nos médicaments ici au Sénégal, la qualité va être au rendez-vous. On sera moins disposé aux risques de qualités liés aux marchés ouverts ou aux appels d’offres ou tout le monde vient se présenter. On va mieux maitriser la qualité parce que le médicament sera fabriqué par des sénégalais, contrôlé par des sénégalais, distribué par des sénégalais.
Quelle politique devront-on mettre en œuvre pour permettre aux industries locales de concurrencer les industries internationales ?
Je ne le lie pas sous cet angle de concurrence. Il faut d’abord exister en ayant un marché. Donc, cela est inévitable. Ensuite, les gens vont faire l’effort résister. Parce que l’industrie pharmaceutique n’est pas un jeu d’enfants. Il faut fabriquer du bon et pouvoir le vendre. Et actuellement, je dis que, chaque pays a la même ambition que le Sénégal. Les réalités sont différentes mais, le Sénégal a une bonne expérience dans beaucoup de domaine, même sur le vaccin. Il y a beaucoup de choses que l’Etat est en train de mettre en place pour accompagner ce processus d’industrialisation notamment en termes de fiscalité, sur les intrants, en termes d’accès. On espère que, quand il y aura à flot du gaz et du pétrole, le coût de l’énergie va baisser. Il y a aussi des mesures d’accompagnement sur l’accès au sol. Il y a un grand projet d’aménagement des zones pour l’industrie pharmaceutique mais dans toute la chaine de valeur de la production pharmaceutique. De la recherche développement à la distribution en passant par la production. Vraiment, dans le plan de relance, tout est pris en compte et, il faut y aller petit à petit. Il faut former les gens au métier de l’industriel.
Donc si toutes ces réformes sont faites, l’industrie pharmaceutique sénégalaise reprendra son envol ?
Il faut que toutes ces réformes soient faites mais, il faut également que le nerf de la guerre soit là. Le nerf de la guerre, c’est l’argent. Il faut des investisseurs nationaux ou internationaux qui viennent, qu’ils aient confiance au climat social, économique du Sénégal pour mettre leur argent. Et ça, c’est vraiment de l’expertise qu’il faut pour savoir quel médicament produire. On se positionne sur quelle frange de production. Est-ce qu’on va faire matière première ou produits finis. Quels produits finis ? Est-ce qu’on va reprendre les génériques qui sont déjà connus partout dans le monde ? Est-ce qu’on va sur les biotechnologiques, sur les vaccins ? Donc, ce sont des études et des analyses qu’il faudra faire pour voir sur quelle frange de la chaine de production se positionner pour espérer exister, résister et monter.
Quel sera le rôle de la DPM ?
Sous l’angle de la production pharmaceutique, la direction de la pharmacie et du médicament qui, certainement, va passer agence de médicaments comme dans les tous les pays africains, cette autorité, en charge de la réglementation pharmaceutique, qui va donner confiance aux produits fabriqués par nos industries locales. Parce que c’est cette autorité qui valide les bonnes pratiques de fabrication avec des instructions réglementaires. Cela veut dire que, si demain on n’a pas une bonne industrie pharmaceutique, les gens n’auront pas confiance aux produits fabriqués par le Sénégal. Cela fait partie des réformes stratégiques, prioritaires qui accompagnent cette montée vers la production locale. Et cela, on est très conscient. Heureusement, le Sénégal participe depuis très longtemps a des missions d’inspection donc, on a des gens qui connaissent la production parce qu’ils sont experts dans le domaine. Ils vont inspecter d’autres pays. Donc, on sait ce qui se fait ailleurs.
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