Alassane Guissé, adjoint au maire de Nantes : « En Septembre, une rue portera le nom de Boubacar Joseph Ndiaye »

Alassane Guissé, adjoint au maire de Nantes : « En Septembre, une rue portera le nom de Boubacar Joseph Ndiaye »

Croisé dans les couloirs du foyer des conférences de l’Unesco, le 25e Adjoint au maire de Nantes, élu de quartier Breil – Barberie, Alassane Guissé, un passionné d’art et de lettres, s’est ouvert à Seneweb. Dans cet entretien, ce symbole de l’engagement politique des Sénégalais établis en France dévoile ses projets à Nantes. Il envisage de rendre hommage au défunt conservateur de la maison des esclaves de Gorée, Boubacar Joseph Ndiaye, en rebaptisant une rue à son nom. Entretien !

Monsieur Guissé, être issu de l’émigration et devenir adjoint au maire de la 6e grande ville de France n’est assurément pas une chose facile. Pouvez-vous nous raconter l’histoire et le sens de votre engagement politique en France ?

Cela démontre notre engagement depuis le Sénégal avec le scoutisme, l’éducation populaire. J’ai l’habitude de dire que quand on est formé par les associations d’éducations populaires telles que les éclaireurs et scout, on est un citoyen conscient des problèmes de ce pays et soucieux d’apporter des solutions, en allant à la campagne en faisant des reboisements, en rencontrant d’autres nationalités. Cela forge notre citoyenneté. La ville de Rufisque et la ville de Nantes sont en coopération depuis 30 ans. Quand je suis arrivé à Nantes, je continuais à faire les mêmes activités que je faisais au niveau des sports : l’engagement, l’accompagnement des familles monoparentales. Je faisais la courroie de l’inter culturalité qui était marquée par des tensions.

En 2014, les écologistes cherchaient quelqu’un qui faisait ce lien parce qu’on parle des autres mais souvent dans les assemblées municipales, il n’y a pas des personnes qui sont issus d’eux qui puissent parler. C’est comme ça que je me suis engagé et que je suis devenu conseiller municipal chargé du développement des pratiques sportives libres et la mobilité internationale. En 2020, je suis nommé premier adjoint chargé de la coopération décentralisée, issu de l’immigration.

“Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen dit quand je serai président de la République, je ferai tout pour que le Sénégal soit membre du conseil de sécurité des Nations Unies”

De plus en plus, on voit des Français d’origine sénégalaise s’activer dans la politique ici en France. Qu’est-ce que cela traduit selon vous ?

La chance que nous avons c’est que quand on est quelque part et qu’on a le bonheur de travailler et la chance de pouvoir contribuer, on n’a pas ce complexe. On peut dire que les Sénégalais sont des gens qui ont l’habitude de contribuer à la bonne marche des collectivités. C’est pour cela que cette émergence des français d’origine sénégalaise on le voit de plus en plus. Les Sénégalais de l’extérieur sont partout ; dans le monde de l’art, la politique, la littérature. C’est cet ancrage et l’ouverture qui nous ont permis cela. On apporte notre contribution au débat. Aujourd’hui, si on a un ministre d’origine sénégalaise (Pap Ndiaye, ministre français de l’éducation) ce n’est pas par hasard. Ce n’est pas un hasard si Marine Le Pen dit quand je serai président de la République, je ferai tout pour que le Sénégal soit membre du conseil de sécurité des Nations Unies. Parce que l’engagement politique des Sénégalais était là. Mélenchon a aussi parlé du Sénégal. Même l’extrémisme, incarné par Zemmour, attaque les Sénégalais de France.

Selon vous pourquoi ces hommes politiques français parlent souvent du Sénégal et des sénégalais de France ?

Parce que les Sénégalais ne se laissent pas faire et apportent leur contribution au débat politique. Ce n’est pas une communauté qui croise les bras. Elle est très engagée. C’est sous cet angle  qu’il faut voir certaines attaques.

Parlant d’attaque, le nouveau ministre français de l’Éducation qui a un lien historique avec le Sénégal (son père est sénégalais) en a essuyé. C’est plus dû à ses positions ou à ses origines ?

Comme je viens de le dire, même si son histoire familiale  est autre chose,  tant qu’il y a le lien historique on est stigmatisé. Mais cela (ces attaques) aussi s’explique par le niveau du débat qu’il a posé parce que c’est un historien qui est intéressé par les discriminations. Il a osé parler du système français qui de plus en plus éloigné certaines personnes. Il dispose, peut-être, de solutions.

S’il n’avait pas quelque chose à apporter, on ne le mettrait pas sur le feu de l’actualité. En France on ne mettra jamais quelqu’un qui n’a pas les qualités et les compétences au poste.

Certains l’accusent d’être anti-blanc. Qu’en pensez-vous ?

Cela ne date pas d’aujourd’hui. Tant que tu as une pensée, on essaie de te stigmatiser. C’est une provocation. Et une provocation cela se répond par le verbe et les écritures. Il a répondu par des analyses pertinentes que personne ne peut nier. On ne peut pas vivre en France avec une mère française après le départ de son père. Une mère qui t’a tout donné et qu’on te taxe d’être anti-blanc. Ce n’est pas du tout compréhensible. Au contraire, sa maman lui a appris que sa diversité culturelle doit être un facteur de cohésion sociale, un ciment.

A Nantes quels sont les chantiers que vous avez engagés en tant qu’adjoint au maire ?

Avec une bonne politique de Madame le maire Johanna Rolland, nous sommes en train de construire une maison des arts à Rufisque. Parce qu’on parle de Rufisque, ville historique et culturelle. Historique, oui, mais culturelle, il y a des choses à faire. Vous connaissez Souleymane Faye, Ndary Lo, Mbaye Diop, Gorguy Ndiaye, Khar Mbaye Madiaga. Ce patrimoine-là doit être valorisé. Ce que nous faisons avec cette maison des arts qui est presque en finition, c’est de permettre aux étudiants de l’école des beaux-arts de Nantes de faire 3 mois avec l’école des beaux-arts de Dakar, d’apprendre l’art typiquement sénégalais sur le plan numérique.

En dehors de cela, ces mêmes étudiants vont aller dans les écoles primaires et collèges du Sénégal avec des professeurs et des artistes sénégalais pour vulgariser l’art dans les coins les plus reculés. Il y aura dans cette école : une salle de danse, un studio de musique, une salle pour les arts plastiques. Ce que nous voulons c’est que ce temple soit un carrefour du donner et du recevoir. Aujourd’hui nous y travaillons. Nous travaillons avec l’Institut français sur ce projet ainsi que des artistes sénégalais comme Dr Massamba Guèye. Si on ne conserve pas l’héritage, on risque de tout perdre.

Imaginez : la plupart des panafricanistes femmes étaient formées à l’école normale des jeunes filles aujourd’hui Lycée Abdoulaye Sadji. On les formait à la française avec une certaine mentalité. Mais elles n’étaient pas naïves. Quand elles retournaient dans les villages, ce sont elles qui éveillaient les consciences. Toutes les révolutions africaines ont été réalisées par ces femmes qui n’ont jamais été valorisées.

Prenez l’école normale William Ponty (Sebi Ponty) là où plupart des chefs d’Etats africains ont fait leurs études, tout est tombé en ruine. On n’est même pas capable de valoriser cela. Nous voulons à travers cette maison des arts que ce patrimoine soit conservé.

Pour terminer dans le domaine de l’art, feu le conservateur de la maison des esclaves Boubacar Joseph Ndiaye. Tout le monde le connaît. Nantes est la première ville de France qui a reconnu l’esclavage et on a un mémorial de l’abolition. Au mois de Septembre il y aura une rue qui portera le nom de Boubacar Joseph Ndiaye, là où les bateaux de négriers partaient. 

 
Entretien réalisé par Thiebeu NDIAYE