La ferveur populaire accompagnant par endroits les derniers coups d’Etat survenus en Afrique de l’Ouest, plutôt que de signifier une adhésion, traduit simplement la pleine aspiration des populations à une meilleure vie, estime l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla.
Avec l’arrivée des militaires au pouvoir dans certains pays, les populations espèrent voir réaliser les performances qu’ils attendraient d’un régime dit démocratique, lesquelles ont trait au bien-être social et économique, à la sécurité, parmi d’autres préoccupations de base, soutient-il dans un entretien avec l’APS.
« Cette ferveur populaire ne veut pas dire que les populations aspirent à des régimes militaires. Elle traduit seulement le fait que ces populations espèrent avoir avec ces militaires les performances qu’elles n’ont pas pu avoir avec les régimes dits démocratiques. Lesquelles performances ont trait à un bien-être social et économique, à la sécurité », etc., a indiqué l’économiste sénégalais, spécialiste des politiques de développement et des questions monétaires.
Des coups d’Etat militaires sont survenus dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest ces 22 derniers mois, au Mali d’abord, en août 2020, en Guinée ensuite (septembre 2021) et au Burkina Faso, le 24 janvier dernier, avec une certaine caution populaire, une bienveillance laissant penser que les populations se plairaient de vivre sous des régimes militaires.
Ndongo Samba Sylla relève que de 1960 à 2012, quelque 78 coups d’Etat militaires ont été perpétrés dans des pays africains ayant en partage le franc CFA.
Selon l’économiste sénégalais, les insuffisances notées dans l’action des gouvernants, en comparaison des attentes placées en eux, sont souvent à la base de frustrations régulièrement exprimées par les populations.
Ce qui ne veut pas dire au fond que ces dernières souhaitent vivre dans des pays dotés de régimes militaires, fait observer Ndongo Samba Sylla.
Il y a seulement qu’elles tablent avec les militaires sur de meilleures conditions de vie et espèrent accéder au bien-être social et économique qu’elles n’ont pas pu avoir avec les régimes dits démocratiques, dit-il.
Le système dit démocratique ne peut se limiter pas à des élections ou à des alternances politiques, au risque de voir les consultations électorales devenir « une présomption de légitimé qui amène, par moments, les acteurs politiques à s’enfermer dans leur tour d’ivoire », analyse l’économiste.
Une telle perspective « peut être à l’origine d’une cassure et d’un manque de dialogue entre les populations et les gouvernants », a poursuivi l’auteur de l’ouvrage « La démocratie contre la République : L’autre histoire du gouvernement du peuple » (L’Harmattan).
Il s’y ajoute, rappelle-t-il, que « les transitions bâclées ont favorisé par moments la résurgence du phénomène des coups d’Etat ». Selon l’économiste, la démocratie « est un concept qui n’a pas été très bien compris par l’élite politique africaine », au point que l’on a « l’impression de passer d’un régime du parti unique à celui du club unique ».
En fait de démocratie, il faut selon lui plutôt parler, même en Occident, d’ »oligarchies » qui ont plus ou moins réussi des performances que l’on attendrait d’un système dit démocratique, en permettant à la population de vivre dans un certain bien-être social.
Ndongo Samba Sylla insiste sur la nécessité d’une déconstruction intellectuelle, devant permettre aux Africains de réfléchir sur des modèles et systèmes qui leur conviendraient le mieux.
Surtout que selon lui, la démocratie n’a pas toujours fait l’unanimité et a été même considérée, à des moments donnés de l’histoire, comme « le concept le plus détesté dans la pensée politique occidentale ».