[Portrait] Imam Alioune Moussa Samb : Le minbar, la politique et les polémiques !

Controverses, sermons polémiques à forte dose de politique, l’Imam Ratib de la grande mosquée de Dakar, Alioune Moussa Samb alimente l’actualité et essuie des critiques acerbes à chaque Aïd (fête musulmane). Ses sorties de piste ne cessent de faire jaser. Chronique d’un imamat à polémiques.

Autant l’affirmer d’emblée : à la Grande mosquée de Dakar, Alioune Moussa Samb est comme un éléphant dans un magasin de porcelaines. Personnage controversé, il est incapable de passer inaperçu. Depuis qu’il a succédé -au forceps- à l’imam très adulé le défunt Maodo Sylla en 2001, Samb a fini de se tailler une réputation de ‘’gaffeur’’ ou encore de ‘’politicien au minbar’’. Ses sermons d’Aïd se suivent et se ressemblent. Ils ont ceci en commun : susciter un tollé général.

Celui du dernier Aïd al Fitr (Korité), le samedi 22 avril 2023, n’a pas dérogé à ‘’sa’’ règle puisqu’il a encore remis le couvert. Du haut de son minbar (chaire d’une mosquée d’où le sermon est délivré), l’Imam Alioune Moussa Samb a encore raté la marche. L’énième glissade langagière sera aussi retentissante que les précédentes. Pendant plusieurs semaines, l’imam Ratib de la Grande mosquée de Dakar est sous les feux de la rampe, s’étant lui-même livré à la vindicte populaire dans un contexte politique chargé de tensions. Avec, en toile de fond, le procès en appel opposant Ousmane Sonko à Mame Mbaye Niang (prévu le 17 avril, l’audience a été renvoyée au 8 mai 2023).

Ce jour-là, sacrifiant au cérémonial empreint de solennité, devant un parterre de fidèles musulmans, en premier rang le chef de l’État Macky Sall, son premier ministre Amadou Ba et son ministre de l’intérieur Antoine Félix Diome, l’imam aborde le sujet qui fâche. Drapé d’un grand boubou blanc brodé de fils noir et gris, le successeur de Maodo Sylla commence par prêcher la paix. Mais, l’habitude étant une seconde nature, Samb ne put s’empêcher d’en rajouter à la polémique. Sans filtre ni pincettes et sans le recul nécessaire, l’imam assène ses critiques et tance les acteurs du ‘’Gatsa-Gatsa’’ et leur leader qu’il accusait déjà dans son sermon de Tabaski 2016 (lorsque Sonko a été radié de la fonction publique) d’avoir failli à son « devoir de réserve ».

«Tous ceux qui mourront durant ces manifestations insignifiantes iront en enfer. Ce qu’ils font n’a rien à voir avec le jihad islamique», tranche-t-il net. Avant de rembobiner en égratignant, par des diatribes, le leader de Pastef, sans le nommer : « Tous ceux qui veulent accéder au pouvoir avec tout ce tintamarre ne sont pas dignes de confiance. Une fois élus, ils vont se détourner des préoccupations du peuple au profit de leurs intérêts égoïstes. Ne donnez le pouvoir qu’à un homme digne de confiance que vous aurez identifié. Si vous le confiez (le pouvoir) à quelqu’un qui ne sait pas faire la part des choses, c’est comme un serpent qui se mord la queue. Il ne suffit pas d’être à l’école pour prétendre diriger un État. Un intellectuel doit pouvoir faire la part des choses et s’imposer des limites à ne pas franchir. Lorsqu’une personne n’a pas de retenue, il est semblable à un animal».

Un imam politiquement coloré ?

Il n’en fallait pas plus pour s’attirer des foudres. Cette fois c’est Ousmane Sonko lui-même qui porte l’estocade, cinq jours après la sortie polémique de l’imam. Depuis Bignona, chez la famille de Mamadou Korka Diallo, le jeune tué lors d’une manifestation dans le sud le 20 mars 2023, où il était pour présenter ses condoléances, le maire de Ziguinchor apporte la réplique. « Ces garçons ont tous mené un combat digne. Ce sont des martyrs, des ‘Chaîd’. La religion n’appartient à personne. D’ailleurs, c’est ici à Bignona que je vais faire une promesse solennelle à la jeunesse de mon pays. C’est pour leur dire que je ne vais jamais les décevoir», lance-t-il à Alioune Moussa Samb qu’il accuse d’être à la solde du pouvoir.

Une critique que beaucoup de sénégalais ont fini de coller à la peau du successeur de Maodo Sylla comme une étiquette depuis qu’il assure de ministère d’Allah auprès de ses serviteurs. Ses contempteurs le qualifient de politicien enturbanné pour ses positions et discours ‘’un poil’’ partisans qui s’accommodent mal avec son rôle d’imam censé être à équidistance de toutes les chapelles. Du moins, selon la conception Sunnite du terme, différent des Mollah et Ayatollah chiites dont la fonction est initiatique et le ministère est aussi bien spirituel que politique. Imam Sunnite, Samb ne rate jamais la tribune que lui offre son minbar pour dévoiler sa position, assez subjective et radicale du reste, sur l’actualité…politique. Qu’importe les critiques. Il assume !

‘’Constitutionnaliste’’ pas très sage

De vives réprobations avaient d’ailleurs suivi son sermon de Korité 2015. Comme en 2023, la question du mandat polluait à l’époque l’espace politico-médiatique. Malgré toute la sacralité que l’islam confère à la parole donnée, l’imam fait entorse aux textes sacrés en invitant le président Sall à revenir sur sa promesse électorale de réduire son mandat de 7 à 5 ans. Quitte à se dédire ! « Wakh wakhet ay wakhou thiakhane la ! (parler de reniement c’est de l’enfantillage). Je suis foncièrement contre la réduction du mandat du président de la République », déclare, sans cligner des yeux, l’imam Samb. Les attaques fusent !

Dans une tribune publiée dans la presse, intitulée « l’imam, la mosquée et le mandat », l’ancien porte-parole du PDS, Babacar Gaye lâche une bombe. À la poubelle les règles de courtoisie ! « Monsieur Alioune Moussa Samb est libre d’être foncièrement contre la réduction du mandat du Président de la République. En toute liberté, il aurait dû attendre le scrutin référendaire prévu en la matière pour s’exprimer valablement dans le secret de l’isoloir. (…) Même si le Sénégal a connu une « République Lebou », la République démocratique et laïque qui est la nôtre ainsi que les usages religieux s’accommodent mal d’un Imam ou d’un ecclésiastique politiquement partisan », martèle le libéral.

Positions politiques assumées

Ahmed Khalifa Niasse enfonce le clou. « La déclaration de l’imam Samb sur le septennat, que l’on soit pour ou contre, a eu à éroder la qualité et la dimension spirituelle de la rencontre qu’est l’Aïd El Fitr. Réduire le minbar de prière à une propagande politique pré-électorale, constitue, à n’en pas douter, aux yeux de la religion, une souillure », tonne le marabout-politique. Le Grand Serigne Dakar, Abdoulaye Makhtar Diop vole au secours de son cousin ‘’Lébou’’ mais le mal était déjà fait. « Si demander à Macky Sall de garder son mandat de 7 ans, c’est le soutenir, la communauté (Lébou) dans sa globalité le soutient » ! Cette déclaration de Diop ne parviendra pas à désamorcer la bombe.

Au creux de la vague, l’ancien footballeur reconverti Imam, qui ruminait encore ces tirs groupés, bat en retrait. Il s’est alors gardé de parler politique à la prière de Tabaski qui a suivi. Il va, cependant, profiter d’une visite de Diouf Sarr en Octobre 2015 pour solder ses comptes, dégommer ses détracteurs avec un ton sec et tranchant. « Beaucoup de personnes ont interprété mon silence lors de mon sermon de la Tabaski comme une reculade face aux pressions et critiques qui ont émané d’un peu partout suite à mon sermon de la korité. Il n’en est rien. Je me suis juste tu à cause de la Tabaski, mais je reprendrai mes sermons à la prochaine korité. Je suis un homme libre et de convictions. Personne ne peut me contraindre au silence. J’ai toujours dit ce que je pense et j’assume mes positions. Personne ne peut me dicter ma conduite », rétorque-t-il.

Défenseur de la communauté léboue

Comme personne ne peut, non plus, le départir de son ‘’communautarisme’’ jugé outrancier par certains. L’engagement communautaire, l’imam a poussé à son comble lors des élections locales de 2021 en appelant publiquement au vote ethnique en faveur des Lébous. « Dakar doit avoir un maire Dakarois. Paris aux Parisiens. Dakar aux Dakarois », a-t-il lancé lors de son sermon à l’occasion de la prière de Korité (2021). Une position que partage le Grand Serigne de Dakar, Abdoulaye Makhtar Diop. La polémique repart. Cette fois les piques viennent du camp du pouvoir.

« J’ai entendu mon ami, mon frère Abdoulaye Makhtar Diop tenir de tels propos. Mais je ne suis pas d’accord avec lui. Parce qu’il a dit les ‘’Lébous ». Mais il se peut que les Lébous ne dirigent pas la mairie de Dakar, parce qu’ils ne sont pas majoritaires à Dakar », dégaine El Pistolero.

C’est avec le même engagement communautariste que l’Imam Ratib s’était opposé à toute idée de suppression de la ville de Dakar en tant que collectivité territoriale, projet qui avait été soulevé en 2019 par les tenants du pouvoir. Alioune Moussa Samb, réputé très proche du pouvoir, a tiré sans sommation sur Macky Sall et son régime. « L’État n’a rien à Dakar. Tout appartient aux Lébous. Qu’on ne nous pousse pas à la révolte. Nous ferons face à toute forme d’agression. Que ceux qui nous gouvernent sachent que le Cap-Vert ne leur appartient pas et ne leur appartiendra jamais. Nous avons des papiers clairs. Il est temps qu’on nous respecte. La France, elle-même, ne nous a jamais gouvernée. Personne ne pourra falsifier les choses. Ce qui s’est passé en Algérie aura lieu chez nous ».

En cette veille de Tabaski, Imam Alioune Moussa Samb est en train de préparer son Khutba (sermon). Avec une actualité très fournie, la politique y occupera certainement une place centrale. Les détracteurs, eux, restent à l’affût !

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