Tenu en otage par une animosité politique qui menace la paix sociale, le Sénégal n’a plus que deux options : dialoguer dans la sincérité pour sauvegarder sa stabilité ou sombrer dans le chaos. Fixé au 30 mai prochain, le dialogue politique place opposition comme pouvoir devant leurs responsabilités.
Le verdict est tombé comme un couperet le lundi 8 mai 2023. La Cour d’appel de Dakar a décidé de corser la peine infligée à Ousmane Sonko en première instance dans l’affaire de diffamation l’opposant à Mame Mbaye Niang. La juridiction a, en effet, condamné le leader de Pastef à 6 mois de prison avec sursis et à verser 200 millions de francs CFA au ministre du Tourisme au titre des dommages et intérêts. Le maire de Ziguinchor par ailleurs candidat des « Patriotes » à la prochaine présidentielle du 25 février 2024, a un pied dans le Club des deux K (Karim et Khalifa) puisqu’il perd ainsi, du moins temporairement (pour un délai de 5 ans en cas de condamnation définitive), son éligibilité eu égard aux dispositions de l’article L30 du code électoral.
Celui-ci dispose : « Ne doivent pas être inscrits sur la liste électorale pendant un délai de cinq (05) ans à compter de la date à laquelle la condamnation est devenue définitive, les condamnés soit pour un délit visé à l’article L29, troisième tiret, à une peine d’emprisonnement sans sursis égale ou supérieure à un mois et inférieure ou égale à trois (3) mois ou à une peine d’emprisonnement avec sursis égale ou supérieure à trois (3) mois et inférieure ou égale à six (6) mois, soit pour un délit quelconque à une amende sans sursis supérieure à 200 000 FCFA, sous réserve des dispositions de l’article L28. (…) ».
Une pilule amère que Ousmane Sonko et ses partisans garderont en travers de la gorge en attendant une hypothétique infirmation de la décision en cassation devant la Cour Suprême et un heureux épilogue du feuilleton judiciaire Sweet Beauté (contre Adji Sarr). On en est encore loin pour le moment.
A l’issue du procès en appel à fort enjeu électoral, à moins de dix mois du grand rendez-vous présidentiel de 2024, une nouvelle cartographie politique se dessine et met en relief une situation totalement inédite. Celle-ci est marquée notamment par la disqualification de la quasi-totalité des ténors du landerneau politique : Karim Wade, Khalifa Sall, Macky Sall et maintenant Ousmane Sonko (même si le pourvoi en cassation est suspensif).
Obligation de dialoguer
Par la condamnation en appel du ‘’Pastéfien’’ en Chef acculé de toutes parts (son procès contre Adji Sarr est en cours), le candidat officieux de Benno Bokk Yakaar, le président Macky Sall, tourmenté par l’équation d’une troisième candidature polémique, rebat les cartes et impose ‘’ses’’ pourparlers à l’opposition notamment à ses plus radicaux rivaux. Le procédé est pour le moins « inique » (utiliser la justice à des fins politiques), mais force est d’admettre que le but est atteint puisque l’opposition n’a plus d’autre choix que de dialoguer pour éviter le chaos. Faute de quoi, le ‘’quatuor’’ de tête du landerneau politique sénégalais sombre, la stabilité du pays avec.
La stratégie du ‘on part tous ensemble ou on coule tous ensemble’ a malheureusement fait mouche dans la mesure où sans compromis, aussi bien Karim Wade que Khalifa Sall ne pourront briguer le suffrage des Sénégalais le 25 février prochain. Ousmane Sonko lui aussi est à moitié inéligible au moment où on redoute du côté du pouvoir une contestation violente d’une troisième candidature. Une situation qui semble redonner quelque peu à Macky Sall les coudées franches. A moins que le peuple ou le conseil constitutionnel s’y oppose, il pourrait bien troquer des armes contre des peaux. En d’autres termes : l’éligibilité de Khalifa, Karim et Sonko contre la validation politique d’un troisième mandat en attendant l’acception juridique (par le conseil constitutionnel) et sociale (par le peuple). La dernière est moins évidente.
Amnistie ou révision des articles L29 et L30, parrainage… au menu
Quoi qu’il en soit, les termes de référence seront bientôt connus. Le dialogue, qui était au stade de projet, commence à prendre forme. La date est fixée au 30 mai prochain pour une durée de 15 jours, selon des informations de la RFM. Ce qui est pour le moins clair est que, comme l’a annoncé le président de la République initiateur du dialogue, lors de son entretien dans Yoon Wi (Rfm) le jour de la Korité : « Si on ne dialogue pas, ils auront beau dire, mais ils ne seront pas candidats. Ce dialogue est dans leur intérêt. Il y a beaucoup de sujets qui seront discutés notamment le parrainage, l’éligibilité. Khalifa Sall attend l’amnistie, Karim Wade lui demande une révision de son procès. Cela ne sera possible qu’à travers le dialogue ». Une omission volontaire de l’épineuse question du mandat qui en dit long sur ses intentions cachées.
A l’heure actuelle, la difficulté pour le président Sall se situe sur les concessions à faire pour amener toute l’opposition, à défaut une partie significative, à la table de négociation le 30 mai prochain. Ce qui ne sera pas une mince affaire vu la tournure radicale qu’est en train de prendre le dossier Sweet Beauté qui aimante autour de Sonko, les forces de Yewwi Askan wi et du F24. Ces dernières avaient brandi comme conditions préalables et non-négociables au dialogue : la renonciation pure et simple du président Sall de briguer un 3e mandat, la suppression des articles « liberticides » du code électoral L29 et L30 et la libération des détenus politiques.
Quel qu’en soit le prix, un dialogue « sincère » est aujourd’hui plus que jamais, une nécessité vitale pour la stabilité du pays. Car, en fin de compte, point de jeu politique sans paix sociale.