[Spécial 4 Avril] 2/4 coups d’État militaire en Afrique de l’ouest: Les raisons de l’exception sénégalaise

[Spécial 4 Avril] 2/4 coups d’État militaire en Afrique de l’ouest: Les raisons de l’exception sénégalaise

Nous sommes en 2023 après Jésus-Christ. Tous les pays du Sahel ont été frappés au moins une fois par le phénomène du “coup d’État ». Tous ? Non ! Au milieu de cet océan agité, navigue sereinement un pays dont le nom est inspiré d’une pirogue : le Sénégal. Contre vents et marées, il a réussi à éviter cette tendance et à maintenir une tradition de stabilité politique depuis son indépendance en 1960. Quelles sont les raisons de cet équilibre ? Éléments de réponse dans cette analyse.



La paix, un concept fort à la prise en charge fragile. Depuis que le monde est monde, les peuples ont toujours usé de la violence pour la conquérir confortant ainsi la locution latine “Si tu veux la paix, prépare la guerre”. C’est justement en prenant part à l’une d’entre elles (1940-1945), que de nombreux pays africains ont obtenu, par la suite, une notion tout aussi importante que la paix : la liberté. En 1960, les anciennes colonies françaises, à l’unisson, proclament leur indépendance. Une nouvelle ère qui vient avec son lot de désagréments. Le 13 janvier 1963, l’Afrique noire connaît son premier coup d’Etat au Togo. Sylvanus Olympio, premier président du pays, est abattu à la suite d’un putsch qui voit Nicolas Grunitzky venir au pouvoir. Ce coup de force va avoir un effet boule de neige sur les autres pays car, au cours de la même année, deux coups d’État vont avoir lieu (République du Congo et Bénin). Et des indépendances à nos jours, le continent a enregistré 212 coups d’Etat. Au Sénégal, la donne est tout autre. Mieux encore, le pays de la Teranga porte bien son nom, il est un terreau de paix dans une région hostile. Outre des “tentatives” de coups d’Etat (1962 et 2011) dont la véracité pose débat, le Sénégal est une véritable exception en la matière. Il lui est même arrivé à plusieurs reprises de porter secours à des pays voisins en difficulté. Ce fut le cas en 1998 en Guinée Bissau Lors de l’”opération Gabou”. Le militaires sénégalais étaient partis prêter main-forte au président João Bernardo Vieira faisant face à une rébellion. Plus récemment, le Sénégal a pris part, en jouant un rôle important, dans l’opération “restaurer la démocratie” en Gambie ayant facilité l’accession au pouvoir de Adama Barrow. Mais alors, comment le Sénégal a-t-il fait pour préserver sa stabilité durant toutes ces années ?

La démocratie : Entre héritage colonial et démocratie assumée

Contrairement à de nombreux autres pays d’Afrique de l’Ouest, le Sénégal a bénéficié d’une tradition d’administration coloniale relativement stable sous la France. Cela a permis de développer une classe politique relativement expérimentée.

Il convient de préciser que le maintien de la stabilité politique et la démocratie au Sénégal ne sont pas seulement dûs à l’héritage colonial français, mais sont également le résultat de facteurs internes propres au pays. Il est vrai que la France a eu une influence importante sur la formation de l’État sénégalais et sur le développement de ses institutions politiques. Pendant son occupation, la France a imposé un système politique centralisé, dans lequel le pouvoir était concentré dans les mains de l’élite politique et administrative française. Cependant, après l’indépendance, les dirigeants sénégalais ont réussi à mettre en place un système démocratique qui a pris du temps à prendre son envol étant donné que la  première alternance pacifique au pouvoir a eu lieu en 2000.

Aussi, le Sénégal a une histoire politique particulière, marquée par des mouvements nationalistes et des luttes pour l’indépendance menées par des personnalités telles que Léopold Sédar Senghor, Mamadou Dia et Cheikh Anta Diop. Ces mouvements ont permis de développer une culture de la démocratie et de la participation politique. S’y ajoute que le Sénégal bénéficie d’une stabilité économique relative, avec une agriculture diversifiée et une économie tournée vers les services. Cette stabilité économique a contribué à la consolidation du système démocratique et à la prévention des coups d’État.

Les chefs religieux, les garants de la paix

Avec plus de 95% de fidèles, le Sénégal est un pays majoritairement musulman. Se distinguant des autres pays, l’islam au Sénégal est marqué par de nombreuses confréries dirigées par des chefs religieux. Ces derniers jouent un rôle important dans la vie sociale mais aussi politique. Ils ont souvent servi de médiateurs entre les différents partis politiques et ont aidé à résoudre les conflits avant qu’ils ne dégénèrent en violence. Pour rappel, les évènements de mars 2021 ont connu une forte décrispation en grande partie grâce à l’appel de ces guides dont le khalife général des mourides, Serigne Mountakha Mbacké. C’est pour dire qu’ils ont une influence considérable sur les décisions et les comportements de leurs fidèles, ce qui leur permet d’agir en faveur de la paix et de la réconciliation. L’autre point fort de la cohésion sociale au Sénégal est le dialogue islamo-chrétien. Et les chefs religieux y sont pour beaucoup en promouvant ce dialogue par l’organisation de rencontres entre les communautés musulmanes et chrétiennes. Ces assises ont permis de renforcer la compréhension mutuelle et de promouvoir la tolérance religieuse.

Les forces armées “républicaines”

Une mise au point qui a surpris son monde. Ce vendredi 31 mars, le directeur de l’information et des relations publiques des armées, le colonel Moussa Koulibaly, répondait à un communiqué de la coalition Yewwi Askan Wi qui annonçait renoncer à une manifestation prévue le 3 avril après concertations avec des “hauts gradés”. “L’Etat-major général des armées invite les acteurs politiques de tous bords et de la société civile à tenir l’armée nationale hors du débat politique pour l’intérêt de la nation. Cette dernière entend garder sa posture républicaine et se consacrer à ses missions régaliennes”, mentionnait le communiqué. Un mot attire particulièrement l’attention dans cette note, le terme “républicain”.
En effet, dans la sous-région ouest-africaine, l’armée sénégalaise est considérée comme la seule à posséder ce critère. Les forces armées sénégalaises ont toujours été relativement professionnelles et apolitiques. Elles ont joué un rôle important dans la consolidation de la stabilité politique en veillant à ce que les coups d’État ne soient pas une option viable. Si bien que ce terme est vu comme un tabou par ces acteurs. L’une des raisons pour lesquelles le Sénégal n’a pas connu de coups d’État est le professionnalisme de son armée. Elle est reconnue pour être une institution républicaine et respectueuse de l’ordre constitutionnel. Elle a été formée dans une tradition républicaine et démocratique et dispose d’une longue histoire de participation aux opérations de maintien de la paix en Afrique et dans le monde.

De plus, l’armée sénégalaise a une culture de discipline et de respect de la hiérarchie militaire, ce qui limite les risques de dissensions internes qui pourraient conduire à un coup d’État. Souhaitant avoir des informations sur les valeurs inculquées aux soldats lors de leur formation, nos tentatives se sont heurtées à l’intransigeance de hauts gradés, même ceux à la retraite. La faute au thème de cet article incluant la motion interdite. Coup d’Etat. Une posture qui se justifie par leur fameux “droit de réserve” consolidant par la même occasion leur surnom de “grande muette”. Le seul qui ait accepté de glisser quelques mots se nomme Thierno Birahim Gueye, dit “Gueye Para”. L’ancien militaire sous-officier à la retraite confie  : “Nous militaires, on est pas fait pour le pouvoir. On est fait pour protéger nos civils. Nous militaires, ce qu’on recherche, c’est le respect des lois et règlements. Et ce règlement, qu’on inculque à tout le monde est la discipline générale”.                                                                           

Une armée plus chouchoutée que jamais


“En toute honnêteté, ce que le Président Macky Sall a fait pour les forces de défense et de sécurité, aucun chef de l’Etat dans l’histoire du Sénégal ne l’a fait. Du point de vue équipement et du point de vue appui moral”, dit celui qui a exercé depuis la présidence d’Abdou Diouf. Bien que dithyrambiques, ces propos résument parfaitement les efforts consentis par l’actuel chef suprême des armées pour mettre ses éléments dans de meilleures conditions. Sur le plan de la rémunération, le chef de l’État avait pris, le 13 avril 2015, le décret n° 2015-497/Pr/Mfa portant modification de l’article 2 du décret n° 78 du 18 décembre 1978 fixant à titre provisoire l’échelonnage indiciaire applicable au personnel militaire de l’armée et de la gendarmerie ainsi que le taux des allocations de solde permanente. Même chose en 2023, où le ministre des finances et du budget a annoncé la revalorisation des forces de défense et de sécurité pour la nouvelle année. Ainsi, la masse salariale de ce personnel devrait passer de 68 700 000 000  Fcfa à 107 900 000 000 Fcfa. A cela s’ajoutent les équipements sophistiqués dont le président de la république a doté la corporation. On peut citer de nombreux véhicules blindés d’infanterie de type “bastion” et “Puma M36”, des ambulances médicalisées blindées et récemment avec la réception du deuxième avion-cargo Casa 295.

Tous ces avantages accordés à ce corps de métier contribuent grandement à apaiser les tensions et à maintenir le Sénégal comme exception démocratique.

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