La procédure en France concernant les victimes des crimes politiques au Sénégal suivra son cours, sans représentation particulière à ce stade de la part des autorités.
C’est un choix politique, qui me semble s’inscrire dans une perspective souverainiste, que le pouvoir aura, après le 17 novembre, la possibilité de matérialiser.
Il y a parmi les victimes des crimes politiques ayant endeuillé le Sénégal en 2022 et 2023, des binationaux francosénégalais.
Il y a surtout parmi les auteurs des crimes, des personnes qui ont trouvé refuge en mont pays, et y ont placé, pour certains, jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros pillés et détournés.
Les hommes politiques que je vise sauront se reconnaître.
Il appartiendra aux autorités sénégalaises et françaises de décider de leur sort.
J’ai eu l’honneur de servir la cause d’un peuple qui m’était étranger, et de me battre à ses côtés.
Parce qu’ils me l’ont demandé.
Les sénégalais se sont comportés, au cours de cette période, en phares de l’humanité.
Ils ont inscrit leur peuple dans l’Histoire, en payant le prix du sang, et en vainquant.
Il appartient désormais à leurs représentants de se doter des moyens de transformer ses rêves en réalité.
Je vois déjà les coteries, les affairistes, les consultants et des grands cabinets se pousser du col pour chercher à les gangréner.
Mille masques, milles instruments par trop connus sont devinés, pour infiltrer la corruption là où elle avait été écartée.
Ces êtres, faisant usage des codes coloniaux, se nourrissent de complexes issus de dominations mal digérées.
Ce pouvoir est né d’une révolte contre ces êtres.
Il a le devoir de s’y confronter.
Mais il n’y a pas que les corps.
Il y a également les pensées: les dogmes que l’on incorpore sans le savoir. Sans sentir en quoi ils nous rendent à nous mêmes étrangers.
Les forces silencieuses qu’ils servent, qu’elles nichent en nous, nous font les habiter.
La force, pernicieuse et presque magique, maléfique, des idées, est qu’elles n’ont pas de corps.
Elles se déguisent. Elles se transforment. Elles sont un véhicule idéal pour faire de nous les esclaves aveugles de pouvoirs masqués.
Ce faisant, elles nous abêtissent, puis nous font sombrer.
Qui de mieux que Macky Sall pour en témoigner.
Il n’y a rien à espérer, pourtant, rien à admirer, du monde qu’elles servent pourtant, saturé de morbidités.
Le Sénégal se régit encore, en termes de normes, de codes, largement sur les fondements d’un monde colonial pourtant depuis longtemps tué.
Ce monde est occidental. Et il est entrain d’agoniser.
Agoniser, car le confort matériel qu’il a atteint s’est acquis au prix d’une crise spirituelle et humaine qui l’a dévasté.
Le malheur, omniprésent, y masque les visages, éteint les sourires, détruit la capacité à aimer et créer.
En un monde où tout est devenu profit, le lien s’est étiolé.
En France, l’on meurt en des abattoirs, et l’on grandit toujours plus dans des élevages, qui n’ont pour vocation que le profit.
On meurt seul, désespérément seul.
L’autre est devenu une machine à profit, la relation n’est plus que transaction.
Tout ce qui nous protégeait a été dévasté, pillé. Metoo n’est que l’expression de cette vulnérabilité. Elle ne touche que nos mondes, non parce que nous serions les avant-postes du progrès, mais parce que nous nous sommes tellement isolés, heurtés, humiliés, que nous avons perdu la capacité à nous aimer, nous protéger, nous considérer.
La valeur de l’intangible. De ce qui ne peut être marchandé.
Si c’est encore là que demeurent les capitaux qui permettraient à d’autres de s’émanciper, si c’est encore là que demeurent les machines productives qui en font tant d’autres rêver, eux-mêmes commencent à s’assécher.
Ces déserts nous angoissent, et génèrent les catastrophes que l’on sait.
La victoire d’Ousmane Sonko démontre que la population sénégalaise sait quels dangers il y aurait à demeurer arrimée à ces mondes. A s’y soumettre alors que, naufragés et errants, ils ne savent plus même où voguer.
Si le pouvoir précédent a frappé sa jeunesse, c’est en effet, je le crois, parce que celle-ci lui renvoyait en miroir son impuissance, les limites d’un modèle recherchant dans l’imitation la prospérité.
Un monde sans place, sans lieu où espérer. Saturé de grandes routes et infrastructures, tandis qu’à quelques kilomètres la misère demeurait.
Rien à en espérer, sinon la concentration de l’humiliation et de l’échec en un lieu. En une terre.
Un exode perpétué.
A force d’utiliser les mêmes échelles que ses anciens maîtres, il ne faut pas s’étonner de demeurer le dernier.
Relégué. Avili. Désespéré.
La révolte qui a porté Sonko au pouvoir est avant tout la révolte d’une jeunesse refusant de demeurer humiliée et prise dans l’entonnoir, entre les pirogues et la misère, les trafics de drogue et la spéculation locative, les océans pillés et les terres dépeuplées.
Une jeunesse qui a refusé tous ces maux importés.
Tous ces maux qui prospèrent de la destruction des sociétés.
Comment, une fois la victoire acquise, transformer l’essai ?
Diriger un peuple n’est pas chose aisée. La peur de le heurter est noble, la réticence à errer saine.
Mais, en ce monde, il n’y a plus de climat tempéré.
La force git en nos passés. En des millénaires qui nous ont précédé. Ils sont ce qui nous donnent de la force. L’assurance pour avancer.
Il n’y aura pas de rupture sans symboles, sans retour aux oubliés des temps, aux cultures et aux terres qui ont fécondé des empires et des arts trop longtemps écartés.
La rupture des accords de pêche, la renégociation des rapports avec la France, le rééquilibrage des relations avec le nouveau monde, la fin de la corruption ne peuvent être que des instruments.
Les projets des consultants sont sans racines. Ils ne permettent pas de penser. Ils ne font qu’ajuster.
J’ai passé peu de temps au Sénégal. Il est facile d’y deviner mille mesures qui immédiatement changeraient des vies, en attendant que ces grandes ruptures soient enclenchées.
Seul, sans escorte, sans protocole, il est facile d’immédiatement s’interroger: combien de jeunes à Dakar verraient leur vie changée si les VTC étaient enfin légalisés, en attendant que des solutions nationales soient crées ? Si les permis de construire étaient enfin subordonnés au financement de structures d’assainissement, de pavage des routes, d’autonomisation énergétique ?
Si des instituts de formation scientifique d’excellence, à un moment où les meilleurs chercheurs français gagnent à peine plus que le SMIC, permettaient d’attirer les cerveaux de l’ancien monde, pour les lier à ces jeunes et l’excellence scolaire qu’une partie du pays continue de générer ?
Combien ce pays gagnerait si, sans tarder, un partenariat stratégique était mis en oeuvre avec la Chine, qui dispose de surplus de production massifs de panneaux solaires – ou, si à l’inverse, de façon conjointe avec le Niger et d’autres, il était immédiatement choisi d’aller vers le SMR ?
Combien de temps faudrait-il pour tout cela lancer, et immédiatement, faire naître de nouveaux mondes, prenant appui sur la richesse d’une culture qui, du textile à l’agriculture, a su préserver mille spécificités, et qui constitue une interface extraordinaire entre le bassin sahélien et les continents européens et américains ?
Tout cela est aisé et ne dit rien des grandes ruptures civilisationnelles qu’il va falloir assumer.
Et pourtant, comme même tout cela peut sembler difficile à imaginer dès que les portes du pouvoir se referment sur soi.
Lorsque le FMI et JPMorgan, Cleary Gottlieb frappent à la porte, envoient limousines et costumes impeccablement taillés.
A défaut de penser, viennent-ils offrir des moyens qui permettent au peuple et ses représentants de penser à ses fins ?
Foutaises.
Pensez-vous que eux, qui tirent leur fortune, leur apparat, seront ceux qui suggéreront d’abattre les oligopoles, créer un opérateur téléphonique unique et public, mettant fin à la prédation d’acteurs étrangers, chargés de rapatrier des bénéfices et de pressuriser les plus fragiles de la société ? Qui suggéreront la création de services publics numériques ; de partenariats Sud Sud permettant de sortir de l’héritage d’un système productif impérial, soumis aux logiques des métropoles présentes et passées ?
Des initiatives diplomatiques avec des puissances souveraines comme le Mexique pour se réapproprier la production d’hydrocarbures, sortir de l’étau Air Sénégal, construire des trains et des infrastructures qui ne seraient détenues par le privé ?
De s’insérer dans les circuits fécondés par les BRICS pour pouvoir à nouveau souverainiser sa monnaie, et lui permettre de fluctuer, sans payer le prix d’une sortie sèche du Franc CFA ?
Foutaises. Espère-t-on vraiment de ces peaux blanches aux masques noirs, soldats de l’existant, qu’ils servent vraiment les intérêts d’un peuple qu’ils ont toujours pillé, et lui offrent des marges de manoeuvre pour se réinventer ?
Ils ne savent pas même ce qu’ils sont, et on espère d’eux qu’ils viennent aider. Ils sont la perversion, et on espère d’eux qu’ils soient nos pilliers.
Combien coûtent les solutions de court-terme, les financements conditionnés qu’ils se s’empressent de proposer ?
Le Sénégal, comme le reste du monde, le sait. Trop d’exemples passés l’ont démontré.
L’Afrique Francophone espère depuis longtemps des soleils qui lui permettraient de dessiner des nouveaux chemins, façonner enfin un nouveau modèle qui rendra fierté et force à des peuples qui n’ont jamais manquer de les désirer.
Le reste du monde attend également avec impatience que de nouvelles voies leurs soient proposés.
Le Sénégal fait figure de lieu idéal pour les façonner.
Dix neuf ans d’âge médian. L’aurore de l’humanité.
Mais comment le faire, si ce sont ces mêmes vieilles mains qui continuent de dominer ?
Pour l’instant, les flux d’exil qui proviennent de l’Afrique de l’Ouest continuent de croître, malades et destructurés.
Les taudis dans lesquels se retrouvent, après milles épreuves, les sénégalais en France sont le fruit de la déstructuration de leur société, mais également de la nôtre.
Oui, également, car nous sommes également destructurés, pillés. Désouverainisés.
Nous qui avons une langue en partage, une histoire mêlée, attendons de pied ferme que des deux côtés du rivage, des hommes et des femmes mettent fin à la spirale dévastatrice à laquelle nous sommes confrontés.
Que se réaffirment nos souverainetés.
J’espère, un jour, ne plus pouvoir plaider au Sénégal, au Bénin, en Côte d’Ivoire. Qu’il y ait, à Dakar, à Cotonou, à Abidjan, des êtres suffisamment riches et souverains pour réinaugurer avec des modèles, des coutumes, des traditions abandonnés. Qu’ils sachent réinventer, en s’inspirant de siècles de sagesse, des nouvelles formes de « juger » qui fassent mieux que nos systèmes de « droit » avarié.
J’espère qu’un jour, nos langues mêmes finissent par se délier. Non au profit d’autres empires, mais de nouveaux mondes que nous aurons inventés.
Je repenserai alors avec nostalgie à ce qui nous a liés, nous qui, ayant hérité le pire, auront su ne pas le perpétuer.
Je nous espère, demain, parents de cohabitantes beautés.
J’ai attendu avec impatience le fruit de cette première rencontre.
Je me suis peut-être précipité.
Mais les mouvements du monde sont comme les dés, qui n’abolissent pas le hasard, même lors qu’ils semblent arrêtés.